CHRIS KILLIP, vague à l'âme


“L’histoire objective de l’Angleterre ne signifie pas grand-chose si l’on n’y souscrit pas, c’est mon cas.
Comme c’est le cas des gens présents sur ces photographies, confrontés à la désindustrialisation au sein d’un système qui ne tient aucun compte de leur vie.
Pour eux je fais partie du superflu : leur lutte est indépendante de leur vie, mais pas de mon espérance.
Voici un livre subjectif sur l’Angleterre telle que je l’ai vécu.
Je mets la main sur ce qui ne m’appartient pas, je convoite la vie de l’autre.
Ces photos parlent davantage de moi que de ce qu’elles montrent.
Ce livre est un roman dont le sujet est une métaphore.” 

Texte introductif du livre de Chris Killip, vague à l’âme.
 Il est précédé du poème de W.B Yeats, "les voiles du ciel".
Face au poème c’est l’image d’un peintre aux pieds des falaises qui, le nez penché sur un détail du tableau, s’acharne contre le vent et les embruns, à rendre compte à son tour, du paysage.
Par effet de miroir, on imagine celui qui est derrière son appareil photo (une chambre 4x5 inch avec son pied, le tout pèse son poids), en train de photographier le peintre.
Killip montre qu’il fait partie de ce tout.
Le livre commence alors par un manifeste, métaphore photographique.
Tout sera représenté et décrit. 
Que reste-t-il quand on a plus grand chose mais la tête remplie de rêves qui se heurtent aux murs des usines enfumées ? Sinon le flash léger du photographe pour apporter sa propre part de lumière à une situation politique, économique, oblique, trop crue à supporter si l’on a pas eu la capacité à s’y habituer, ou si alors on ne peut pas, ou on n’en peut plus.Car il fait sombre dans cette condition et sans la moindre lumière tendre de Killip, les habitants ne seraient plus que des gens sans visages.
Chacun se reconnaîtra dans ces peintures, photographies pardon.
Il suffit de les regarder, chacun fait des signes, dans son naufrage.
Et l’empathie opère.

Tout ce qui peut toucher, est rendu visible, les matières environnantes, leurs cheveux, leurs chevaux, la brume, la fumée, la poussière.
Grâce aux moyens utilisés, de main de maître, tout est palpable jusqu’au cœur des gens, jusqu’aux cœurs des grenouilles.
Ils sont à bout de nerfs, à fleurs de peaux, les punks et skinheads qui crient. Mais leurs cris, comme celui de Munch, restent étouffés par le dancefloor. 
A propos du No future, du no way, imaginez-vous sur la piste de danse d'une boîte de nuit  avec ces jeunes fauves et un appareil photo du XXème siècle dernier... (je ferme la porte de la boîte de nuit).
Oppresseurs et oppressés (tout est relatif) sont du même côté, un autre mur, renforcé par l’éclair du flash dans la nuit (comme dans les photographies de Weegee) fait mine de les séparer .
La situation devient complètement absurde.
Il faudra alors rêver, par arrêté préfectoral, car sur le « mur du grand amour », il ne reste plus que l’ombre d’un homme de dos, quelques papiers et cartes géographiques (on s’y perd).
Quoi est a qui ?  

Qui n’a jamais vu une photographie de Chris Killip, de ses yeux, ne peut imaginer qu’il existe, un après Cartier-Bresson.

Pendant ce temps, le Petit Poucet est allongé sur son tas de cailloux, il compte.
Mais pas de fée.

Normal !  Crise… Killip …


(Toutes les photographies sont de © Chris Killip)

A replacer dans le contexte, ceci.



6 commentaires:

by land by air by sea a dit…

ohhh valery

i had this photo on my wall in lond for many many years.

que casualidad !

B

florizelle a dit…

Comme votre texte est beau !

Valéry Lorenzo a dit…

Dear Beth
Que casualidad !!
This book is in my library for some twenty years now.
In other words, the value it has taken would easily (if I'd sell it but not) permit me to travel to England to visit the actual state of the country.
I do not believe in coincidence (you know that).

Chère Florizelle
Je devais être ivre lorsque je l'ai écrit !
ça me fait plaisir (très très) que vous veniez ici (même si je ne suis pas vraiment surpris). Un Killip peut cacher un Hine...

J'attends... a dit…

Je lis et relis votre texte. Chaque trait de pinceau est unique. On entend le coeur des grenouilles qui palpite. Merci de nous faire sentir ainsi Chris Killip.

Valéry Lorenzo a dit…

Mais avec plaisir ! J'ai juste essayé modestement de retranscrire ce que je voyais.
Bon sur ce, je continue à faire des photographies...
:-)

Elisabethbaysset a dit…

c'est beau !!! EB