"Son couteau de plongée est posé près de lui sur le rocher brûlant, une chose.
Par la vitre de son masque il a vu un banc de poisson verts, ils se mouvaient comme un seul corps.
Dans la pénombre liquide, il a tenté d'arracher la couronne d'épines d'un oursin, il a suivi l'âme translucide d'une méduse en son errance flottante.
A présent, nu sur le rocher, il est assis en plein soleil comme un segment du soleil même, un corps de feu. Et il continue à se poser des questions.
D'où vient que le dessus de la surface de l'eau, qui n'est pourtant rien d'autre que le dessus, soit tellement plus mystérieux que la plaine mouvante qu'il voit en ce moment ?
Lumineux était ce dessous, transparent comme la vivante méduse de verre, cristal ondoyant et dansant qui séparait le domaine de l'eau du domaine de l'air.
Comme il lui serait facile, pensait-il, de disparaître maintenant : un homme qui eût abandonné ses vêtements sur le rocher et fût entré dans le miroir pour y demeurer, le vivant miroir, membrane qui scelle le silence.
Dépouillé du mot qu'il lui fallait être, infiniment proche de son ultime destination parmi le perpétuel silence des poissons, délivré de son nom. " 

(Cees Nooteboom /  Autoportrait d'un autre. (Traduit par Philippe Noble, Acte sud))